Une énième dispute. Et toujours les mêmes mots qui fusent et mitraillent au passage les cinq autres habitants, qui n'ont pourtant pas demandé à se retrouver au coeur de cette scène de ménage. Eli trouve encore qu'il a crié trop facilement sur DongHo et s'en veut déjà quand il voit les yeux du magnae s'embuer. Il soupire et tend sa main vers lui en vue de se faire pardonner, mais elle n'a pas le temps d'atteindre les joues lisses que le petit brun est debout et se dirige vers la sortie. Il claque la porte, fait trembler les murs et ne prend pas la peine de se couvrir, encore moins de jeter un regard à son amant dont le coeur vient de se briser violemment. C'est la première fois que l'adolescent s'enfuit de la sorte, alors que le cinéma se répète en boucle depuis déjà une demie année.
Le rappeur se laisse tomber sur le canapé et KiSeop pose une main qui se veut réconfortante sur son épaule. Mais rien n'y fait, l'américain est dévasté. Cela fait des mois qu'il essaie mais il ne sait plus comment raisonner DongHo.
Ce dernier lui, court, court encore, ignorant le point de côté qui le déchire de l'intérieur, comme s'il voulait détruire encore quelque chose dont il ne reste déjà que des miettes. Il a dépassé depuis longtemps le parking de leur résidence, mais ses larmes n'en finissent pas de ronger ses traits. Et la course se complique quand le vent se lève, mais il continue. Respirer devient une épreuve, il ne se rend pas compte de l'intensité sonore de ses sanglots mêlée à une vaine tentative de reprise de souffle, ses pensées écrasantes l'ayant déjà rendu sourd depuis le départ de ses deux aînés.
Il fait déjà nuit, en bon leader, SooHyun est le seul à ne pas s'être couché afin de tenir compagnie à Eli dans l'attente. Mais quand les aiguilles ont dépassé le douze, il perd patience. Il se lève et avant de regagner sa chambre, se retourne pour fixer gravement Eli.
- Tu devrais descendre. Il n'est jamais rentré si tard.
Et déjà, il fonce dans le couloir sombre. Mais Eli se lance à sa suite.
- SooHyun?
Ils s'affrontent de nouveau du regard. L'interpellé affiche un air qui demande à l'autre à ce qu'il en finisse rapidement.
- Merci.
Mais il ne répond pas, n'esquisse même pas un semblant de sourire pour le rassurer. S'enferme dans sa chambre, fatigué de tout ça. Eli est désormais seul, resté les bras ballants dos à la salle à manger. Il soupire en regagnant sa place fétiche. Il aurait tellement voulu ne serait-ce qu'une once de compassion. Mais il sait qu'il ne peut pas en vouloir à son hyung, il n'y est pour rien. Quand il s'est engagé avec DongHo, il a promis de le protéger. Seulement plus le temps passe plus cela lui paraît insurmontable.
Il médite encore pendant une bonne heure, et voyant que le magnae n'est toujours pas de retour, il prend la direction de la sortie sans aucun empressement. Il enfile sa veste en cuir et s'enfonce dans le hall. Il sait qu'il n'aura pas à aller bien loin avant de retrouver l'adolescent, mais une angoisse indicible le terrasse quand même. Et il n'a pas encore poussé la porte du bâtiment qu'il l'aperçoit, assis sur le trottoir d'en face. Il n'est plus sûr d'en avoir envie mais ses pas le mènent tout de même à lui. DongHo soupire et refoule une fois de plus ses larmes en sentant son amant prendre place à ses côtés. Ses genoux ont percuté l'asphalte de nombreuses fois dans la soirée, mais Eli ne le sait pas encore. Et l'enfant ne lui dira jamais s'il ne le découvre pas par lui-même.
Le silence leur glace les membres à tous les deux, encore plus que la brise estivale, s'insinue en eux jusqu'à les faire trembler. Cette incapacité à communiquer finira par les briser, et ils le savent aussi bien l'un que l'autre. Le rappeur dirige sa main sur le côté, priant pour qu'elle finisse par heurter celle de DongHo, mais rien ne se passe. Elle se referme une fois de plus sur le vide, comme leurs vaines tentatives de dialogues. Comme toujours depuis six mois. Le néant semble avoir élu domicile en eux, ou peut-être juste en leur relation. Le plus vieux se retient lui aussi de ne pas pleurer devant l'absence d'efforts de son petit ami.
De nombreuses minutes passent. Une torture pour les deux, mais ils s'obstinent à rester côté à côte. Ils en ont besoin, plus que n'importe quoi d'autre. Ce n'est même plus l'amour qui les retient, mais plutôt ce confort de se savoir rattaché à quelque chose quand on sombre. Mais Eli aimerait tant que tout redevienne comme avant, quand DongHo posait encore ses mains sur ses hanches quand il le prenait dans ses bras. Il ne sait plus quoi faire, ni comment l'aimer. Malgré les apparences, c'est toujours le magnae qui a tenu les rennes, et dès qu'il a lâché prise, l'américain n'a pas su le retenir à temps. Et il court désormais après une relation vouée à l'échec depuis son commencement.
- Les autres sont tous couchés, on devrait y rentrer. Et puis.. Tu vas attraper froid.
Il prononce ces derniers mots dans un murmure, comme s'il n'osait même plus lui montrer qu'il prenait encore soin de lui. Le petit brun s'applique à s'enfoncer dans son mutisme, finit par donner l'air d'aimer faire souffrir celui qui se plie en quatre pour satisfaire la moindre de ses volontés.
DongHo se relève sans prévenir, et commence déjà à marcher pour rejoindre la chambre qu'ils n'ont pas partagée depuis bien longtemps. Eli le rattrape rapidement, mais aucun mot n'est échangé. Le silence est presque devenu une routine entre eux.
A leur retour, l'appartement est toujours calme, et il le sera sûrement jusqu'au matin. Le cadet fonce dans la chambre sans même daigner adresser un pauvre regard à Eli qui ramasse désormais les morceaux de son coeur à la petite cuillère. Il n'ose même pas le rejoindre. Il n'ose plus rien, à part laisser DongHo piétiner sa dignité. Il en aura accepté des choses pour cet enfant capricieux. Il continue d'espérer qu'un jour ses concessions seront récompensées par un peu d'affection de la part de ce dernier.
Le rappeur renonce, et envisage de faire graver le canapé à son nom. Comme prévu, il n'arrive pas à fermer l'oeil. Il se demande. Si DongHo dort. A quoi il pense. S'il l'aime encore, ou s'il l'a même jamais aimé. Ce qui se serait passé, si KiBum et Alexander étaient encore là. Il tourne en rond. Les interrogations sont les mêmes que la nuit dernière, de celle d'avant, d'il y a six mois. Mais il n'arrive pas à se faire à l'idée que cela puisse se terminer comme ça. Il se décide à fermer au moins les yeux, pour avoir bonne conscience et se dire qu'il a essayé. Et au bout d'une heure ou d'une minute, il entend un bruit. Il n'a presque pas le temps de s'asseoir que la silhouette a prit place à ses côtés. Il n'a même pas besoin de tourner la tête pour savoir qui s'est installé si près de lui.
La main de l'enfant cherche celle d'Ellison dans le noir. Et le coeur de ce dernier explose. Encore. Il ne sait pas à quoi joue DongHo. Mais il est fatigué de se battre. Il voudrait avoir une histoire simple comme la plupart des gens de son âge. C'est visiblement trop demandé.
- J'arrivais pas à m'endormir.
C'est la seule chose que le bébé rappeur arrive à murmurer avant que sa voix ne le trahisse. En vérité, il espérait vraiment qu'Eli dorme déjà. Il n'arrive même plus à se sentir bien en sa présence. Pourtant il l'aime. A en crever. Sa main chaude le rassure encore un peu. Mais il a peur que même cet effet finisse par s'estomper avec le temps. Il ne veut pas le perdre comme il a perdu Alexander et KiBum. C'est cette crainte qui l'empêche de vivre. Il s'apprête déjà à repartir mais la main d'Eli reste désespérément accrochée à la sienne. Il n'ose plus se défaire de ce contact qui sans le vouloir le retient dans la réalité. Son hyung s'approche dangereusement de lui et dans un geste furtif pose ses lèvres sur les siennes. L'aîné a l'impression que cela fait des années qu'ils ne se sont pas embrassés. Mais les autres fois n'avaient rien à voir. DongHo serre les dents, tente de contenir ses larmes une fois de plus. Ses petites mains heurtent le torse d'Eli et le repousse le plus violemment possible. Ce qu'il vient de vivre est une torture, lui qui pourtant aimait tant les moments de tendresses dans le passé.
Sans réfléchir, l'américain saisi son amant par les épaules et le secoue. Pour la première fois depuis la fin du contrat de leurs aînés, il laisse les larmes continuer leur chemin hors de ses yeux. Il se fiche bien d'avoir l'air faible, il veut juste que DongHo comprenne combien il a mal lui aussi. Il finit par se calmer mais sanglote comme un enfant, extériorise des mois de souffrance intérieure.
Le magnae essaie d'essuyer ses larmes au fur et à mesure, mais Eli est inconsolable. Il ne comprend pas quand est-ce qu'il a été trop loin, mais il n'avait jamais vu son petit ami pleurer auparavant, et cette situation l'effraie. Alors il se blottit dans les bras musclés du rappeur et laisse ses mains se perdre dans son dos. Il sait que c'est probablement un geste de ce genre qu'il attend. Il en vient à se demander s'il le fait pour lui ou simplement par égoïsme.
- Je te promets que ça s'arrangera quand les garçons reviendront.
Eli oublie presque de respirer en entendant cette réplique. Il ne veut pas blesser DongHo mais il sait qu'il doit lui ouvrir les yeux. Il a l'air de tellement croire en ce qu'il avance qu'il se demande s'il n'est pas devenu fou.
- Mais putain DongHo, ouvres les yeux. Ils ne reviendront pas. T'es pas le seul à souffrir alors arrête. J'en peux plus de faire le mec fort uniquement pour te protéger.
L'interpellé ouvre la bouche comme surpris. C'est la première fois qu'Eli exprime ce qu'il ressent. Il aurait aimé que ce ne soit jamais le cas. Plus jamais il ne pourra se sentir en sécurité dans ses bras après avoir entendu ces quelques mots. Il a tout simplement anéanti le peu de force qui résidait encore en DongHo. Le magnae se lève. Ce soir, il dormira encore seul. Le bruit de ses pas s'évanouit déjà dans l'obscurité de l'appartement. Dans une denrière phrase, Eli brise ce début de silence.
- Tu comptes nous faire mal comme ça jusqu'à quand?
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