[Drabble] Confusions printanières

Elle dévale les escaliers le cœur au bord du vide, manque même plusieurs fois de trébucher. Dans le couloir se recoupent passé et présent, étranglés tous deux par la misère environnante, qui semble tout engloutir autour d'elle. Elle croise les cheveux noirs de jais, parsemés de mèches, et la bouteille trônant entre les doigts aux ongles peints d'un vernis écaillé lui donne l'envie de recracher le peu qu'elle a dans le ventre. Mais les marches collantes, qui forcent les semelles à rester accrochées au sol de trop longues secondes l'en dissuade. Elle poursuit sa course effrénée. Arrive finalement en bas, à l'air, dehors, respire à s'en faire éclater les poumons, profite de l'oxygène, la seule chose à peu près saine à des kilomètres à la ronde. Elle se sent vite nauséeuse, finit par s'asseoir à même le béton crasseux, des mégots se fixent à ses cuisses nues, elle n'y fait même plus attention et préfère ne pas imaginer de quelles bouches ils proviennent. Elle croit défaillir chaque fois qu'une silhouette masculine passe devant elle, mais n'ose jamais lever les yeux. Les mains déjà tremblantes, elle se relève pour camoufler ce malaise que personne ne voit. Il viendra. Il a promis, il ne peut donc en être autrement. Une mèche de cheveux vient se ficher dans sa bouche, la fait toussoter d'abord puis cracher ses poumons sur ce sol où trônent déjà tant de déchets. Se ressaisit difficilement. Elle est certaine de tenir le bon bout. Ou presque. De toute façon elle entend les pas qui résonnent. Ce sont les siens. Les yeux toujours fixés au sol, mais elle reconnaît ses pieds. Pas les autres. Il passe et ne s'arrête pas. Surenchérit d'une de ses phrases assassines qu'elle n'entend même pas. Elle ne pleure même pas pour les nuits qu'elle n'aura pas passées avec Alexis. Elle n'en a plus la force, et ne veut plus se souvenir de sa douceur ni de tout ce qu'il aurait pu lui apporter d'autre. Elle reste seule et le vent claque dans ses oreilles.